La filière nucléaire française prend de l’ampleur, encouragée par le Plan France 2030. Lors de sa visite à Toulouse à la mi-décembre, Emmanuel Macron a annoncé la construction de huit réacteurs EPR2, en plus des six déjà prévus. Alors que les préoccupations en matière de sécurité ont précédemment entravé le développement de cette technologie, l’industrie a désormais besoin de plus de données pour garantir une production en temps voulu. “Le secteur est en pleine effervescence avec de nouvelles initiatives impliquant des technologies avancées, car il est de plus en plus nécessaire de comprendre le vieillissement des équipements”, note Laurent Arduin, responsable des comptes stratégiques chez l’éditeur de logiciels de simulation et de conception 3D Ansys. qui a collaboré avec la société américaine NuScale Power pour mettre au point un petit réacteur modulaire. L’intelligence artificielle et les jumeaux numériques sont désormais appelés à jouer un rôle clé.
La chaîne d’approvisionnement est l’un des premiers domaines où la technologie se développe facilement. Selon Vincent Coent, PDG de la société d’ingénierie ABMI, “la gestion de la chaîne d’approvisionnement nucléaire est très complexe, avec des milliers de fournisseurs dans le monde. L’automatiser est un moyen d’optimiser les opérations et d’accroître la réactivité”. Dans ce contexte, ABMI et le spécialiste de l’IA et des mathématiques décisionnelles, EURODECISION, se sont associés. Ensemble, ils proposent une solution logicielle pour optimiser la chaîne d’approvisionnement grâce à l’IA. Par exemple, un algorithme peut être utilisé pour commander une pièce via un logiciel en fonction de l’état des stocks et des travaux à venir. La solution est capable de gérer plus de 10 000 références provenant de centaines de fournisseurs.
Prévention des erreurs humaines lors de la prise de commandes
Les deux partenaires, qui collaborent depuis plus d’un an dans le secteur aérospatial, mettent en garde contre le principal écueil : “Une solution comme l’IA ne peut fonctionner que si l’on comprend bien les besoins du métier”, affirme Ronan Bars, CEO d’EURODECISION, qui suggère de mettre en place des règles précises basées sur l’expertise métier. Selon lui, l’exhaustivité des règles régissant l’IA est un gage de sécurité. D’autant plus que la traçabilité des opérations est au cœur de la stratégie industrielle nucléaire.
Selon les deux partenaires, les avantages de l’intelligence artificielle sont triples : tout d’abord, elle permet d’éviter les erreurs humaines dans les commandes de matériel. Ronan Bars explique : “Si une personne demande trop de pièces à un fournisseur en raison d’une erreur de zéro dans la commande, c’est difficile à voir à l’œil nu. L’IA y parvient facilement et sert d’outil de décision fiable et vérifiable.” Le deuxième avantage est que l’IA optimise le stock, qui est très coûteux dans le secteur nucléaire. Le PDG d’ABMI ajoute : “Ne pas avoir d’argent immobilisé sans raison est une attente forte de tous les clients depuis la crise Covid.” Enfin, elle renforce la collaboration entre les différents métiers et prestataires de services, apportant plus de valeur au quotidien. Mickael Buhe, directeur technique nucléaire chez ABMI, l’énumère également.
Le prochain grand projet de l’IA
Dans le secteur est axé sur le suivi de la construction de nouvelles centrales électriques par le biais d’un jumeau numérique. Selon François Weiler, PDG d’Altair France, “Construire un réacteur deux fois plus vite qu’avant nécessite un changement d’approche. La simulation est une grande tendance qui se dessine et qui aura un impact réel.” L’éditeur Ansys partage ce point de vue en affirmant que “l’anticipation de la maintenance et la prédiction des risques de défaillance sont des enjeux majeurs de l’IA”, selon Antoine Toullec, ingénieur d’application senior chez Ansys. L’entreprise est impliquée dans un projet de recherche, appelé ConnexITy, avec EDF, Atos et Assystem, pour créer un jumeau numérique d’un alternateur. D’autre part, Schneider Electric travaille dans sa division nucléaire avec Aveva pour créer une réplique en 3D d’une centrale électrique afin de gérer le comportement de cet actif industriel de bout en bout. Avec les jumeaux numériques, le cycle de vie des centrales électriques ne fait que commencer.